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Antidumping et sous-cotation des prix : cas d’analyse au niveau des segments du marché

Affaires - International
15/03/2022
Pour la sous-cotation des prix, la Commission peut, dans certaines circonstances, devoir procéder à une analyse au niveau des segments du marché du produit en cause – par exemple en appliquant la méthode des NCP –, selon un arrêt de la CJUE du 20 janvier 2022 qui revient sur une solution du Tribunal de l’UE de 2019.
En 2019, le Tribunal de l’UE avait considéré que la Commission européenne, dans le cadre d’un recours contre un règlement imposant des droits antidumping, commettait une erreur dans son analyse de la sous-cotation des prix en ne tenant pas compte de la segmentation du marché (Trib. UE, 24 sept. 2019, n° T-500/17, Hubei Xinyegang Special Tube c/ Commission, EU:T:2019:691, points 53 à 81). Plus précisément pour ce Tribunal, alors que la Commission avait relevé l’existence de trois segments de marché relatifs au produit considéré, elle n’avait pas tenu compte de cette segmentation dans le cadre de son analyse de la sous-cotation des prix et, d’une façon plus générale, dans le cadre de l’examen de l’effet des importations faisant l’objet d’un dumping sur les prix des produits similaires sur le marché de l’Union ; aussi, selon ce Tribunal, la Commission n’avait pas fondé son analyse sur l’ensemble des données pertinentes du cas d’espèce, en violation de l’article 3, paragraphes 2 et 3, du règlement (UE) 2016/1036 du 8 juin 2016 (JOUE 30 juin, n° L 176) relatif à la défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping de la part de pays non membres de l'Union européenne, dit règlement de base antidumping.
 
Cette décision a fait l’objet d’un pourvoi de la Commission qui a abouti à son annulation.
 
Recours : interprétation littérale, qualification des faits, NCP...
 
La Commission estime notamment – et contrairement à ce qu’a retenu le Tribunal – qu’elle n’était pas tenue par les textes d’effectuer un examen distinct de la sous-cotation des prix pour chaque segment de marché du produit considéré, rien ne l’indiquant dans le règlement de base. De plus, selon cette institution, le Tribunal aurait interprété erronément le règlement ou aurait effectué une qualification juridique erronée des faits en retenant qu’ils constituaient des circonstances exceptionnelles nécessitant une analyse de la sous-cotation des prix par segment de marché. Enfin, il aurait jugé à tort que la méthode des NCP (numéros de contrôle de produit) n’était pas adéquate pour tenir compte de la segmentation du marché.
 
Principe pour l’analyse de la sous-cotation des prix au niveau des segments du marché : pas d’obligation absolue, mais des circonstances particulières
 
Pour la CJUE, si le règlement de base n’impose aucune méthode particulière pour analyser la sous-cotation des prix, toutefois, selon son article 3, paragraphe 3, la méthode suivie pour déterminer une éventuelle sous-cotation « doit, en principe, être opérée au niveau du « produit similaire », au sens de l’article 1er, paragraphe 4, dudit règlement, même si celui-ci peut, (...), être composé de différents types de produits relevant de plusieurs segments de marché » (CJUE, 5 avr. 2017, n° C-376/15 P et n° C-377/15 P, Changshu City Standard Parts Factory et a. c/ Conseil, EU:C:2017:269, points 58 et 59). Par conséquent, le règlement de base « n’impose, en principe, pas d’obligation à la Commission d’effectuer une analyse de l’existence de la sous-cotation des prix à un niveau autre que celui du produit similaire ». Mais si, en vertu de l’article 3, paragraphe 2, du règlement de base, la Commission est tenue de procéder à un « examen objectif » de l’effet des importations faisant l’objet d’un dumping sur les prix des produits similaires de l’industrie de l’Union, elle est obligée de tenir compte dans son analyse de la sous-cotation des prix de tous les éléments de preuve positifs pertinents, y compris, le cas échéant, ceux relatifs aux différents segments de marché du produit considéré. Aussi, pour assurer l’objectivité de l’analyse de la sous-cotation des prix, la Commission peut, dans certaines circonstances, être tenue de procéder à une telle analyse au niveau des segments du marché du produit en cause, même si le large pouvoir d’appréciation dont dispose cette institution pour déterminer, notamment, l’existence d’un préjudice s’étend à tout le moins, aux décisions relatives au choix de la méthode d’analyse, aux données et aux preuves à recueillir, à la méthode de calcul à utiliser pour déterminer la marge de sous-cotation ainsi qu’à l’interprétation et à l’évaluation des données recueillies (points 73 et s.).
 
Analyse de la sous-cotation des prix au niveau des segments : « large pouvoir d’appréciation » de la Commission et recours au NCP
 
Pour la CJUE toujours, « en appliquant la méthode des NCP, la Commission a bien pris en compte les segments du marché du produit considéré aux fins, notamment, de l’analyse de la sous-cotation des prix et, par conséquent, il ne saurait lui être reproché d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation lors de la mise en œuvre de cette analyse ». Aussi, en déduit cette cour, le Tribunal a dépassé les limites du contrôle juridictionnel lui imposant, s’agissant de la détermination du préjudice et, en particulier, de l’analyse de la sous-cotation des prix, de respecter la large marge d’appréciation réservée à cet égard à la Commission (points 106 et s.). Pour mémoire en effet, il est de jurisprudence constante que, le « large pouvoir d’appréciation » de la Commission en matière d’antidumping (découlant de la complexité des situations économiques et politiques qu’elle doit examiner et qui porte, notamment, sur la détermination de l’existence d’un préjudice causé à l’industrie de l’Union) a comme corollaire que, s’agissant de l’appréciation des faits par cette institution, le contrôle juridictionnel doit être limité à la vérification de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation.
 
De plus, pour la Cour, au vu notamment des principes ci-dessus, si « une analyse complémentaire de la sous-cotation des prix (...) consistant à comparer les prix dans chaque segment en sus de l’analyse effectuée sur la base de la méthode des NCP, soit une comparaison NCP par NCP, peut s’imposer à la Commission dans certaines circonstances exceptionnelles d’une segmentation caractérisée du produit en cause impliquant des variations de prix importantes entre les segments de marché, même si un large pouvoir d’appréciation doit être réservé à cette institution pour définir la méthode précise pour analyser la sous-cotation des prix, une telle analyse complémentaire n’était, en tout état de cause, pas requise en l’espèce au vu des données fournies par la Commission sur demande expresse du Tribunal après l’audience devant celui-ci » (point 111).
 
Plus d’information sur ce sujet dans Le Lamy contrats internationaux, voir n° 332-58. La décision ici exposée est intégrée notamment à ce numéro sous la forme d’une note de l’éditeur dans la version en ligne de cet ouvrage dans les 48 heures au plus tard à compter de la publication de la présente actualité.
 
 
 
Source : Actualités du droit