Retour aux articles

La jouissance gratuite et sans contrepartie de biens immobiliers appartenant à une société de capitaux constitue un acte anormal de gestion

Affaires - Fiscalité des entreprises
28/09/2022
Dans un arrêt du 22 juillet 2022, le Conseil d'État rappelle que la mise à disposition gratuite et sans contrepartie de biens immobiliers par une société de capitaux constitue un acte anormal de gestion susceptible d’être réintégré dans le résultat de celle-ci, et ce quand bien même cette opération correspondrait à son objet social. Cet arrêt a également été l'occasion pour le Conseil d'État de rappeler les règles présidant à la détermination du régime fiscal français applicable à une société étrangère.
À la suite d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2012, l'administration fiscale a estimé que la requérante (société de droit suisse) avait commis un acte anormal de gestion en renonçant à percevoir des loyers en contrepartie de la mise à disposition, au bénéfice de son unique associé et à titre gratuit, de deux appartements dont elle est propriétaire, situés en France, et qu’elle était passible de l’IS en France à raison de ces bénéfices.

Les juges du fond ayant rejeté ses demandes, la requérante se pourvoit en cassation. Elle estime notamment que la cour administrative d'appel de Marseille a commis une erreur de droit en jugeant qu’elle devait être assimilée à une société anonyme assujettie à l’IS du seul fait de sa forme sociale, sans tenir compte de son objet exclusivement civil ni de l’absence en droit suisse de structure sociale comparables aux sociétés civiles françaises, et sans s’interroger sur le caractère lucratif de son exploitation.

De plus, l’administration fiscale française ne pouvait, selon elle, réintégrer les sommes qu’elle aurait pu tirer de la location de ses deux biens immobiliers dans l’assiette imposable à l’IS, dès lors que cette opération n’était pas lucrative et correspondait à son objet social, dont la licéité au regard du droit suisse n’était pas contestée.

Le Conseil d'État rejette l’ensemble des prétentions de la requérante.

Sur la détermination du régime fiscal français applicable à une société étrangère

Le Conseil d’État rappelle d’abord qu’« il appartient au juge de l'impôt, saisi d'un litige portant sur le traitement fiscal d'une opération impliquant une société de droit étranger, d'identifier dans un premier temps, au regard de l'ensemble des caractéristiques de cette société et du droit qui en régit la constitution et le fonctionnement, le type de société de droit français auquel la société de droit étranger est assimilable. (…) Pour déterminer si une société de droit étranger est assimilable à une société par actions de droit français, le juge de l'impôt n'a pas à tenir compte du caractère civil ou commercial de l'objet de cette société, un tel critère n'étant pas au nombre des caractéristiques définissant ce type de sociétés ».Il rappelle également qu’en droit français, « une société anonyme (…) est assujettie à l'impôt sur les sociétés à raison de sa forme sociale, quel que soit son objet ».

Aussi, la CAA qui a relevé la nature de société de capitaux de la requérante et la responsabilité de son associé limitée au montant de ses apports, a correctement décidé que cette dernière devait être assimilée à une société anonyme de droit français et partant être soumise à l’IS, sans qu’il soit besoin d’examiner le caractère lucratif de son activité.

Sur l’application de la théorie de l’acte anormal de gestion

Le Conseil d’État rappelle que « constitue un acte anormal de gestion l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt ». 

Il souligne qu’« au regard de ces principes, la circonstance qu'une renonciation à recettes par une société de capitaux au bénéfice de ses associés serait conforme à l'objet social de l'entreprise n'est pas à elle seule de nature à faire regarder cette renonciation comme étant dans l'intérêt propre de l'entreprise, ni que satisfaire par cette gratuité l'un des objets pour lequel la société a été créée soit une contrepartie suffisante ».
 
Dès lors, la CAA était fondée à juger qu’« en mettant à la disposition gratuite de son unique associé deux appartements situés à Cannes, [la requérante] avait renoncé sans contrepartie à percevoir des recettes qu'une gestion normale de ses biens eut procurées ».
 
Source : Actualités du droit