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Nouveaux offices notariaux : le tirage au sort suspendu

Civil - Informations professionnelles
14/12/2016
Le moins que l'on puisse dire, c'est que la libéralisation de l’installation des notaires n'a pas fini de faire parler d'elle. À peine créés, les nouveaux offices notariaux attribués par tirage au sort début décembre sont déjà remis en cause. Temporairement.
Les premiers tirages au sort destinés à désigner les notaires qui auront le droit d’ouvrir un nouvel office dans les zones dites d’installation libre (L. n° 2015-990, 6 août 2015, JO 7 août, art. 52, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques) ont eu lieu début décembre. 
Avec deux grandes surprises : le nombre de demandes et le type de demandeurs. Des chiffres non officiels font ainsi état de plus de 30 000 demandes déposées, pour seulement 1 002 places. Et parmi les candidats, pas seulement les notaires jeunes diplômes attendus, mais également des notaires libéraux qui postulent à l’ouverture d’un nouvel office.
Depuis le milieu de la semaine dernière, Conseil supérieur du notariat (CSN, 9 déc. 2016 ; CSN, 12 déc. 2016 ; CSN, 14 déc. 2016) et ministère de la Justice s’affrontent par communiqués de presse interposés (Ministère de la justice, 13 déc. 2016; Ministère de la Justice, 14 déc. 2016), chiffres à l’appui. La pomme de discorde : le recours au concours pour départager les candidats à ces nouveaux offices.

Un arrêté du 14 novembre 2016 (Arr. 14 nov. 2016, NOR : JUSC1632907A, JO 15 nov.) fixe les garanties permettant de s’assurer de la régularité du tirage au sort, dans le cadre fixé par le décret du 20 mai 2016. Cet arrêté prévoit que chaque candidature est retranscrite de manière anonyme sur un bulletin destiné au tirage au sort, que le tirage au sort a lieu dans les locaux du ministère de la Justice et est effectué manuellement  par un magistrat en présence d’un  représentant du Conseil supérieur du notariat (CSN). Il est précédé d’un décompte des bulletins effectué dans les mêmes conditions. L’arrêté prévoit également l’écriture d’un procès-verbal des opérations.

Le CSN conteste le recours au tirage au sort, auquel il préfère, de loin, l’organisation d’un concours.

Nouvelle étape aujourd’hui, avec l’ordonnance du Conseil d’État dans le cadre d’un référé-suspension introduit contre l’arrêté du 14 novembre dernier. Le Conseil d’État vient en effet de suspendre le tirage au sort d’attribution des nouveaux offices notariaux :
« 5. Considérant que les opérations de tirage au sort ont débuté le 7 décembre 2016 ; que, compte tenu de la nature des missions des notaires et des modalités d’exercice de leur profession, l’éventuelle remise en cause, après plusieurs mois de fonctionnement, de la légalité de la création de plusieurs offices notariaux et de la désignation de leur titulaire qui pourrait découler de l’illégalité de l’arrêté litigieux serait de nature à porter gravement atteinte à l’intérêt général ; que, dès lors, la condition d’urgence, qui n’est d’ailleurs pas contestée par le ministre de la justice, garde des sceaux, est remplie ; 
 6. Considérant que l’arrêté du 14 novembre 2016 prévoit que chaque candidature est retranscrite de manière anonyme sur un bulletin destiné au tirage au sort ; que le tirage au sort a lieu dans les locaux du ministère de la justice, qu’il est effectué manuellement  par un magistrat en poste à la direction des affaires civiles et du sceau en présence d’un  représentant du Conseil supérieur du notariat et précédé d’un décompte des bulletins effectué dans les même conditions ; qu’il est dressé procès-verbal des opérations par un agent du ministère ; que le ministre a produit à la suite de l’audience trois fiches techniques relatives aux modalités d’anonymisation des candidatures et au procès-verbal ; que toutefois il ne ressort ni de l’arrêté ni des fiches produites que le ministre aurait prévu des règles permettant de s’assurer de la régularité de la procédure tout au long du déroulement de celle-ci, depuis l’enregistrement de la candidature, jusqu’à la publication des noms des personnes devenues titulaires d’un office notarial dans la zone en cause ; que, par suite, le moyen tiré de ce que la régularité de la procédure n’est pas assurée est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté contesté ; 

7. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. B est fondé à demander la suspension de l’exécution de l’arrêté contesté ; qu’il a lieu de suspendre l’exécution de l’arrêté du 14 novembre 2016 jusqu’à ce qu’il soit statué au fond sur les conclusions formées par M. B tendant à l’annulation de cet arrêté ».

Pour le Conseil d'État, l’insuffisance des garanties procédurales tout au long de la procédure justifie donc la suspension de l’arrêté. Les opérations de tirage au sort doivent donc être interrompues. Les séances de tirage au sort prévues les mercredi 21 et 28 décembre n'auront donc pas lieu.

Mais des questions demeurent : quid des quinze premiers offices attribués ? Cet arrêté sera-t-il annulé par le Conseil d'État statuant sur le fond ? Un nouvel arrêté va-t-il venir renforcer les garanties procédurales ? Le tirage au sort va-t-il être écarté au profit d'un concours ?

A priori, non. Le ministère de la Justice n'a pas mis lontemps à prendre acte de cette décision (Ministère de la Justice, 14 déc. 2016). Tout en précisant que "afin de pouvoir effectuer dans les meilleurs délais les tirages au sort, (il) prendra, à brève échéance, les mesures nécessaires pour répondre aux interrogations soulevées et confirmer la sécurité juridique totale de l’opération". La Chancellerie rappelle sa détermination à créer rapidement les 1 002 offices permettant l'installation de 1 650 notaires, conformément aux recommandations de l'Autorité de la concurrence.

Autorité de la concurrence qui n'a pas tardé, non plus, à réagir à l'ordonnance du Conseil d'État (Autorité de la concurrence, 14 déc. 2016), suggérant plusieurs pistes d'amélioration :
 - Les règles définissant l'ordre dans lequel sont effectuées les opérations de tirage au sort pourraient utilement être précisées ;
 - L'ordre et la date des tirages au sort des différentes zones pourraient être annoncés à l'avance et rendus publics sur le portail OPM ;
 - Aux côtés du représentant du CSN, des assesseurs représentant les candidats à l'installation et les autres administrations en charge de la mise en œuvre de la liberté d'installation (la DGCCRF et l'Autorité) pourraient être invités à assister à ces tirages au sort ;
 - La mise en place d'un portail vidéo pourrait, le cas échéant, permettre aux candidats d'assister à distance et en temps réel aux opérations de tirage au sort, et en tant que de besoin, de consulter la vidéo correspondante a posteriori.
En incitant fortement le gouvernement à réagir rapidement pour apporter les garanties procédurales nécessaires. D'autant que l'Autorité s'apprête à rendre publiques ses recommandations relatives aux huissiers de justice et aux commissaires-priseurs judiciaires...

 
Source : Actualités du droit