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Loi Badinter, voiture autonome, robot, évolution du risque et information au regard de la protection des assurés (1/2)

Tech&droit - Objets connectés
13/10/2017
Les expérimentations sont en en cours depuis quelque temps déjà : sur certaines routes françaises, des véhicules autonomes circulent déjà. Si l'heure n'est pas encore à l'autonomie totale de ces voitures, il est néanmoins temps de réfléchir aux impacts de ces technologies qui feront du conducteur un simple passager. Plus de trente ans après, faut-il modifier la loi Badinter ? Quels impacts sur la notion de dommage et celle de risque dans les contrats d’assurance automobile ? L'analyse de David Noguéro, professeur à l’Université Paris Descartes Sorbonne Paris Cité (IDS - UMR-INSERM 1145) (1/2).
Ce texte est issu d’une conférence, dont le style oral a été conservé pour l’essentiel, à l’occasion du 20e anniversaire du Master 2 Droit des assurances de l’Université de Caen, ayant donné lieu à une contribution lors du colloque « Comprendre et anticiper la révolution du numérique en assurance », à l’invitation des étudiants et de leurs directeurs, qui sont ici remerciés, comme Rodolphe Bigot ayant eu l’initiative pour cette publication. Il a été demandé à l’auteur de répondre à diverses questions autour de l’axe essentiel de la protection des assurés sur le thème de l’intégration des nouvelles technologies dans les pratiques assurantielles. L'analyse sera publiée en deux parties, dont voici la première et la seconde est ICI).
 
Il est périlleux d’élaborer des règles de droit qui devraient régir une situation dont on ignore, par hypothèse, les contours exacts et susceptible de bouleversements encore parfaitement inconnus et, parfois, inimaginables. Dans la phase de transition, à défaut de paramètres entièrement fiables, il ne faut pas forcément pencher pour la révolution copernicienne en faisant table rase du passé. Soyons enthousiastes mais sans démesure disruptive. Il faut tenter de tirer un vin nouveau à partir de vieilles outres (Sur le paradoxe de la connaissance, Harari Y. N., Homo deus. Une brève histoire de l’avenir, Albin Michel, 2017, pp. 68 s., 71 s.). Prudemment, aventurons-nous un peu. Le délire farfelu aux yeux d’un contemporain peut s’avérer ultérieurement piètre perspective. Seul le pronostic rétrospectif n’expose pas au ridicule de l’inadéquation de la prévision un peu folle. Essayer d’anticiper c’est accepter de se tromper, en tâtonnant, et en proposant une réflexion à nourrir collectivement par l’échange.
 
Le Droit, et le juriste qui y est associé, sont jugés lents, et en décalage temporel par rapport à la prise en compte des problèmes concrets qui se posent aux praticiens. Pour les nouvelles technologies, l’on n’échappe pas à cette critique, parfois excessive. Dans une époque où la vitesse est devenue une vertu cardinale, souvent pour elle-même, cette lenteur du droit passe pour un handicap sérieux. Dans nos sociétés, il faudrait peut-être s’interroger sur la déesse « immédiateté », du moins lorsqu’elle relève de l’agitation sans conscience. Prendre son temps - ce qui ne veut pas dire tarder inutilement - aide à la réflexion sans la précipitation, qui doit précéder l’action.
 
Au début du 20e siècle, l’usage de l’automobile avec conducteur s’est développé et s’est peu à peu démocratisé. Inévitablement - soulignons l’adverbe -, il y a eu des accidents. Un journaliste dirait que nous étions face à un vide législatif même si, dès 1958 en France, et avec la directive 72/166/CEE du 24 avril 1972 pour l’Europe, l’assurance de responsabilité civile a été rendue obligatoire pour être au volant ou au guidon (C. assur., art. L. 211-1). L’assurance couvre le conducteur, le propriétaire et le gardien autant qu’elle protège la victime.
 
Avant la fameuse loi Badinter du 5 juillet 1985 (L. n° 85-677, 5 juill. 1985, tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation), spéciale aux accidents de la circulation, les juges ont été confrontés aux difficultés issues de la pratique. Pour régler les accidents, ils ont pris appui sur le droit commun, soit la fameuse responsabilité du fait des choses de l’ancien article 1384 du Code civil, devenu article 1242 au 1er octobre 2016, en attendant de nouveaux bouleversements à la suite de projets de réforme de la responsabilité civile. Pendant plusieurs décennies, le système a prévalu avant son adaptation pour mieux protéger les victimes, avec un processus d’indemnisation adapté. Plus de trente ans après la loi Badinter (prônant accélération et amélioration), l’ouvrage devrait-il être remis sur le métier pour appréhender un avenir dont l’horizon commence à peine à se dessiner ? (Delambily F., Voiture autonome : Le gouvernement lance une consultation nationale, www.newsassurancespro.com, 15 sept. 2017. Le Gouvernement s’apprête à lancer, en octobre 2017, une consultation nationale sur le véhicule automatisé auprès du secteur de l’assurance afin de définir une stratégie nationale pour décembre 2017 et réfléchir à un cadre réglementaire adapté (sécurité routière ; cybersécurité). Stratégie annoncée à la presse, comme la nomination d’un haut responsable chargé de la coordination du dossier, par le ministre des Transports, Elisabeth Borne, le 5 octobre 2017) Le clapotis actuel du changement sera le flux d’un nouvel océan d’ici deux à trois décennies, peut-on croire. Les technologies doivent-elle conduire à repenser la mesure du risque ? La maîtrise anarchique des données personnelles des individus est-elle inéluctable ou existe-t-il une régulation avant des évolutions ?
 
Des réponses seront successivement apportées ou ébauchées pour mesurer la protection des assurés, au regard de différentes questions soulevées lors de la conférence anniversaire au cours de laquelle l’auteur de ces lignes est intervenu. D’abord, pour l’évolution du régime de responsabilité, il faut se demander s’il existera une continuité ou une rupture avec la loi Badinter pour les assurés (I). Ensuite, il faudra s’interroger relativement au régime juridique à inventer lié aux véhicules autonomes (II). Puis, devra être examinée la problématique de l’évolution de la notion de dommage et celle de risque dans les contrats d’assurance automobile (III). Enfin, dernier aspect, dans le prolongement de la protection des assurés, il sera traité de l’information disponible les concernant s’agissant de l’appréhension du risque (IV).
 
I. L’évolution du régime de responsabilité : continuité ou rupture pour les assurés ?
Il est à remarquer que l’avant-projet de réforme de la responsabilité civile, dans sa version initiale du 29 avril 2016 (v. Actualités du droit, 1er juin 2016, Urvoas J.-J, ministre de la Justice : « Cette réforme est absolument nécessaire pour des raisons de sécurité juridique ») ou celle modifiée du 13 mars 2017 (v. Actualités du droit, 13 mars 2017, Levée de rideau sur le projet de réforme de la responsabilité civile), qui intègre au Code civil les règles de la loi Badinter, légèrement amendées, n’envisage aucunement la question des nouvelles technologies pour un régime juridique nouveau (C. civ., art.  1285 à 1288;  v. Landel J., L’avant-projet de la loi portant réforme de la responsabilité civile codifie, tout en la modifiant, la loi Badinter sur les accidents de la circulation. État des lieux, RGDA 2016, p. 288 ; Bloch L., Ne m’appelez plus loi Badinter (à propos du projet de réforme du droit de la responsabilité civile), RCA 2017, Focus 11 ; Morlet-Haïdara L., Le projet de réforme du régime d’indemnisation des accidents de la circulation, RCA 2017, étude 9). Cependant, la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissante verte permet une ouverture possible, tout en autorisant l’expérimentation de véhicules à délégation partielle ou totale de conduite (renvoi à une ordonnance). Dans le respect de la sécurité des usagers, il serait ainsi possible de prévoir, « le cas échéant, un régime de responsabilité approprié » (L. n° 2015-992, 17 août 2015, précitée, art. 37, IX. V. la liste des véhicules visés et le cadre fixé).
 
Par commodité, à la suite de la question posée, il sera évoqué un régime de responsabilité, même si cette nature est parfois discutée pour la loi Badinter organisant l’indemnisation de différentes catégories de victimes et de dommages selon le type d’atteinte (dernièrement encore, Dupré M., Le coup de volant, un coup de Trafalgar ?, note sous Cass. 2e civ., 23 mars 2017, n° 15-25.585, Gaz. Pal. 2017, n° 18, p. 30, RCA 2017, n° 163, note Groutel H.). La pratique et la doctrine ont commencé à disserter sur l’adaptation du droit positif afin d’appréhender les évolutions à venir sous l’aspect des accidents de la circulation (notamment Vingiano I., Quel avenir juridique pour le « conducteur » d’une « voiture intelligente », LPA 1er déc. 2014, n° 239, p. 6 et L’amendement à la Convention de Vienne : un pas de plus vers l’introduction des véhicules à conduite déléguée, RGDA 2016, p. 231 ; Josseaume R., Le véhicule autonome : un défi au Code de la route, Gaz. Pal. 1er oct. 2015, p. 7 ; Bénéjat-Guerlin M., Véhicule autonome et responsabilité pénale, D. 2016, p. 1146 ; Pierre Ph., Quand E. Musk rencontrera R. Badinter, ou Le pilotage automatique des véhicules automobiles à l’épreuve de l’indemnisation hexagonale des victimes d’accidents de la circulation, RLDC 2016/141, p. 33). Face à l’inconnu, chacun a légitimement du mal à se détacher de sa connaissance actuelle et de ses réflexes habituels afin d’imaginer l’éventualité d’un nouveau paradigme obligeant à penser différemment, à imaginer autre chose. Si Jean Giraudoux fait dire à son personnage que le droit est la plus puissante des écoles de l’imagination, c’est pour ajouter aussitôt dans quel but : jamais poète n’a interprété la nature aussi librement qu’un juriste la réalité (La guerre de Troie n’aura pas lieu, 1935. Hector consultant Busiris). Autre chose est la confection des règles.
 
Pour tenter de répondre à de telles interrogations, il faut savoir jusqu’où l’on se projette dans l’avenir. Sur le très long terme, qui peut savoir ? Personne, sérieusement. La téléportation d’une fameuse série télévisée sera peut-être devenue réalité et rendra sans objet le transport par véhicule avec un parcours physique ! C’est pourquoi, notre ambition sera réduite. Plutôt que donner des réponses fermes et définitives - existent-elles, avec certitude, en l’état ? -, il convient modestement de présenter des pistes de réflexion ouverte. Préférons la réflexion collaborative à l’oracle illusoire.
 
D’emblée, il convient d’indiquer que tout dépend du type d’évolution technologique possible et accepté - insistons sur ce point d’importance - par nos sociétés et systèmes juridiques. Par exemple, acceptera-t-on un véhicule totalement autonome sans aucune intervention d’une personne physique, serait-elle à l’extérieur du véhicule, ce à quoi s’opposent à ce jour la Convention de Vienne et le code de la route en France. Pour l’heure, le plan de la nouvelle France industrielle (NFI) depuis 2013 (avec la notion de véhicules à pilotage automatique), suivi de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissante verte (en son art. 37, IX), permettant l’ordonnance n° 2016-1057 du 3 août 2016 relative à l’expérimentation de véhicules à délégation de conduite sur les voies publiques (son article 3, pour l’autorisation, effectue un renvoi au décret ;  v. Sénat, 2016-2017, TA n° 355, loi de ratification de l’ordonnance), outre l’amendement de 2016 à la Convention de Vienne (en vigueur au 23 mars 2016 : Convention de Vienne, art. 8.5 bis : exigence de conformité des systèmes embarqués ayant une incidence sur la conduite à des instruments internationaux ou possibilité de leur neutralisation ou désactivation par le conducteur), traité international sur la circulation routière du 8 novembre 1968 (en vigueur au 21 mai 1977), permettent d’introduire des systèmes pour la conduite des véhicules.
 
Toutefois, la notion de conducteur n’est pas évacuée jusqu’à présent comme en atteste le code de la route, en son article R. 412-6, dans sa version issue d’un décret de 2008, ou l’article 8 de la Convention de Vienne (v. le détails sur les qualités physiques et psychiques, les connaissances, l’habileté et le contrôle). Il y a néanmoins des réflexions/propositions en ce sens. Dans cette prospective, en Europe, une proposition de nouvel amendement belge et suédois à la Convention de Vienne a été déposée en octobre 2015. En parallèle, l’assurance obligatoire n’est pas remise en cause qui peut concerner un propriétaire ou un gardien, même non conducteur.
 
Pour une période qui s’ouvre, on se trouve dans une situation de cohabitation de différents véhicules au regard de la technologie embarquée. Dans cette situation de longue transition (pensons au temps du passage amorcé du diesel vers l’essence), il existe des risques que nous présenterons bientôt. L’idée générale reste d’accueillir, et même de favoriser, la technique du véhicule dit intelligent, autonome, avec un pilotage plus ou moins automatique, voire entièrement automatisé avec des systèmes, non plus de simple aide, mais de délégation plus étendue, partielle ou totale, en voie de perfectionnement. Pour les États-Unis est souvent évoquée la Google Car (projet Waymo en 2016) avec le Self-Driving System (SDS).
 
Le risque n’est pas pour autant supprimé. En atteste, au-delà de certains incidents, un accident du 7 mai 2016, en Floride, d’un véhicule type « Tesla S ». On n’entrera pas dans le détail des questions de pilotage automatique (Traffic-Aware Cruise Control TACC ou Autopilot) ou de module de maintien dans la file ou assistance au maintien de cap (Autosteer), variété de la technologie. Le 14 février 2016, en Californie, la Google Car a connu l’accident. Aussi, dans le même temps, chacun comprend qu’il faut encadrer cette conduite assistée ou celle déléguée, partant accorder la sécurité indispensable aux victimes potentielles. Il convient dès lors de trouver un répondant en terme de responsabilité ou d’indemnisation. Dans la continuité, pour l’assuré et sa protection, la possibilité de l’assurance doit être ouverte.
 
Les axes de réflexion sont les suivants : conducteur ; utilisateur ; propriétaire ; fabricant ; constructeur ; équipementier ; sous-traitant ; concepteur… Il faut ajouter à ces qualificatifs : « de quoi » ? L’interrogation sous-jacente est celle de savoir à qui attribuer le risque. Du coup, il s’agit de déterminer qui peut ou doit être assuré.
 
Sur ce sujet, d’aucuns se demandent quelle initiative reste à celui qui était jusqu’à présent un conducteur, qui devait déclarer son profil lorsqu’il souhaitait obtenir la couverture assurantielle de sa conduite d’un véhicule terrestre à moteur (VTM). Si son erreur humaine a une incidence sur la genèse de l’accident, nul n’y voit, moralement déjà, un obstacle à son engagement de responsabilité. Il pourrait en aller ainsi même s’il n’est pas à l’intérieur du véhicule mais le dirige à distance ! S’il devient un passager passif, même bénéficiaire du service du véhicule, faut-il alors le rendre responsable et, corrélativement, lui faire supporter le coût d’une assurance ? Sa passivité peut être partielle ou totale, le confort étant vanté afin de pouvoir se livrer librement à des activités annexes à la conduite auxquelles certains s’adonnent déjà dans leur véhicule à l’ancienne en contradiction aux règles établies. Dans l’époque présente, existe encore la réserve de la reprise en main (débrayable à tout moment ; désactivation). Cela justifie, sur le terrain de l’information, les consignes de sécurité dont l’utilisateur/consommateur est destinataire.
 
Actuellement, le conducteur, personne physique, est celui qui, au moment de l’accident, a la possibilité de maîtriser le véhicule, de le contrôler, en disposant des pouvoirs de commandement. La casuistique existe afin de caractériser, dans les espèces, un tel pouvoir. Dans le cadre contemporain autorisant la conduite déléguée, dès lors que l’homme (sens générique) bénéficie de la technologie mais qu’il peut reprendre la main, à tout moment, on peut considérer qu’il conserve la qualité de conducteur devant être attentif et diligent. Il en va ainsi par sa vigilance et sa surveillance imposées, qui manifestent le contrôle ou la maîtrise du véhicule, serait-il ponctuel et non constant, y compris par le biais du système embarqué sur lequel des informations lui ont été fournies.
 
Par parenthèse, lorsque la jurisprudence a eu à juger du cas du conducteur endormi - donc sans la conscience prêtée à celui éveillé, pour l’exercice de pouvoirs -, avec un véhicule en mouvement, elle a retenu l’implication de celui-ci (Cass. 2e civ., 16 oct. 1991, n° 90-15.118, Bull. civ. II, n° 262). À l’inverse, le propriétaire d’un véhicule, arrêté sur une bande d’arrêt d’urgence, resté à bord, et endormi, sur la banquette arrière (détail important !), perd la qualité de conducteur pour son indemnisation ainsi plus aisée (Cass. crim., 31 mai 2016, n° 15-83.625, RCA 2016, n° 223, Bloch L., Dormir ou conduire : il faut bien choisir, RCA 2016, alertes, focus 18). De même, le moniteur d’auto-école reste, par principe, conducteur, grâce à ses pouvoirs de commandement sur l’élève pourtant au volant (Cass. 2e civ., 29 juin 2000, n°s 98-18.847 et 98-18.848, Bull. civ. II, n° 105).
 
Dès lors, on peut imaginer que même si, concrètement, des systèmes techniques peuvent avoir une plus ou moins grande incidence sur la conduite, autre chose est la traduction juridique de cette situation. La variété de tels systèmes existe : limitateurs ou régulateurs de vitesse ; aides à la conduite (A) ; système de délégation, pour tout (DT) ou partie (DP) de l’activité de conduite (La triple distinction énoncée (A ou DP ou DT) résulte de la proposition d’amendement d’octobre 2015 de la Convention de Vienne) ; par exemple non limitatif, encore, des capteurs, notamment ceux pour prévenir l’accident en détectant le véhicule dans un angle mort de vision.
 
Mettons-nous dans l’hypothèse d’une victime subissant un préjudice par un véhicule intégrant les technologies. Sous l’angle de la loi Badinter, dans les rapports véhicule impliqué et victime, il n’y a guère de changement, semble-t-il. Du moins, on pourrait s’accommoder de la situation avec le corpus disponible. Ce n’est pas l’existence ou l’absence de faute du conducteur (responsable) qui est à démontrer, mais l’implication de son véhicule. Dès lors qu’il est établi que le véhicule, qui doit être assuré, serait-il équipé de technologies, est impliqué, au sens légal, peu importe la cause exacte, serait-elle une défaillance technique et non une maladresse ou une erreur de pilotage humain, même à supposer qu’il reste une part de contrôle du véhicule à l’homme. L’article 2 de la loi Badinter précise : « Les victimes, y compris les conducteurs, ne peuvent se voir opposer la force majeure ou le fait d’un tiers par le conducteur ou le gardien d’un véhicule mentionné à l’article 1er ». Se constate la neutralisation de la cause d’exonération du droit commun, y compris dans l’avant-projet de réforme dans sa dernière version, à l’article 1286, alinéa 1er, mieux rédigé comme suit : « La victime ne peut se voir opposer le cas fortuit ou le fait d’un tiers même lorsqu’ils présentent les caractères de la force majeure ».
 
Une interprétation légèrement extensive de l’esprit de cette disposition empêcherait l’assureur du propriétaire ou du gardien, par exemple, d’arguer d’un problème technique pour échapper à l’indemnisation à l’égard de la victime non conductrice ou de celle « conductrice », au sens large, d’un autre véhicule. Indiquons que les systèmes embarqués ayant une incidence sur la conduite sont réputés conformes à la Convention de Vienne, pour autant qu’ils soient conformes à certaines normes ou qu’ils puissent être neutralisés ou désactivés, traité qui se réfère toujours à l’exigence d’un conducteur et à celle de son contrôle ou de sa maîtrise. Pour simple rappel, si celui qui est à bord du véhicule est victime, en présence d’un autre véhicule impliqué, eu égard à la différence encore faite entre les catégories de victimes, son indemnisation pourrait être limitée ou exclue seulement si sa faute de conducteur est démontrée, en faisant abstraction du comportement de l’autre conducteur, au regard de l’article 4 de la loi Badinter, tel qu’interprété par la jurisprudence.
 
L’obligation à la dette sur le fondement de la loi Badinter ne fait guère de doute, peut-on penser. Après tout, en droit pénal, les infractions sont imputées au conducteur ou au titulaire de la carte grise, propriétaire du véhicule, à suivre le contentieux sur le régulateur de vitesse. Autre chose est la contribution à la dette : le payeur final. On pense aux recours éventuels. Il y a alors lieu d’envisager les rapports de l’assureur de l’utilisateur ou du propriétaire ou du gardien, dont le véhicule est impliqué, avec le fabricant, le constructeur, l’équipementier, celui en charge du montage, voire le concepteur dont le « produit » serait en cause (ou leur assureur). Il faut penser à une défaillance possible du système. Chacun connaît les règles de répartition en vigueur avec les recours subrogatoires (Sans s’étendre, pour le coobligés, il faudra s’intéresser à la faute prouvée, au prorata, selon la gravité, sinon on procédera par parts viriles. En outre, avec la subrogation, l’assureur pourrait agir contre le vendeur de son assuré pour la défectuosité de la chose).
 
Sur ce terrain, si les conditions en sont réunies, spécialement le défaut de la sécurité légitimement attendue, pourrait être envisagée, pour certains intervenants, la mise en œuvre de la responsabilité du fait des produits défectueux du producteur. Elle est aujourd’hui codifiée aux articles 1245 et suivants du Code civil (ancien art. 1386-1), sans obligation d’assurance imposée par la directive, et elle peut être invoquée par la victime même si existe un régime spécial de responsabilité (C. civ., art. 1245-17;  . encore d’office par le juge, s’agissant de faire application des règles d’ordre public issues du droit de l’Union européenne, au regard des principes de primauté et d’effectivité de ce droit, Cass. ch. mixte, 7 juill. 2017, n° 15-25.651, D. 2017, p. 1472 et p. 1800, note M. Bacache M., JCP G 2017, 926, note Quézel-Ambrunaz Ch.). Certains ont pu songer aux fabricants des capteurs.
 
D’aucuns s’interrogent lorsque le défaut aura son siège dans le logiciel ou le système d’exploitation. Il faut également tenir compte des applications informatiques associées. Par exemple, la technique « Lidar » (acronyme light ou laser detection and ranging) ou télédétection par laser permet la mesure à distance des objets. L’intelligence artificielle permet de lire la route en trois dimensions. Et l’erreur ou la défaillance de conduite, liée au dysfonctionnement ?
 
Dans le présent cadre, où la protection de l’assuré est la réflexion principale, on ne saurait s’étendre outre mesure sur le régime des produits défectueux car la difficulté pèse davantage sur l’assureur que sur l’assuré (Des réflexions, Pierre Ph., article préc.). Simplement, sur le terrain de la causalité, ou, mieux, celui de l’exonération du producteur, par la faute de la victime, pourrait être discuté le rôle exact du conducteur, et celui de la technique. En effet, selon l’article 1245-12 du Code civil, « La responsabilité du producteur peut être réduite ou supprimée, compte tenu de toutes les circonstances, lorsque le dommage est causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime ou d’une personne dont la victime est responsable ». Dans les recours éventuellement exercés, cela aurait une incidence pour l’assureur de l’assuré en charge du véhicule ayant causé des dommages à autrui.
 
En fonction des observations de l’expérience, il faudra voir si les règles de la responsabilité de ceux qui créent les systèmes ou les véhicules équipés ne devraient pas être modifiées, comme l’obligation d’assurance instituée. Pour l’heure, des constructeurs ont communiqué en indiquant assumer la pleine responsabilité des accidents causés par leurs véhicules. La communication n’est pas l’indemnisation effective ! Il pourrait néanmoins être observé que la situation entraînant l’indemnisation sera compensée, en volume, par la baisse globale des accidents ou, au contraire, tarifée pour les assurés, ainsi médiatement affectés. En cascade, celui qui aurait mis en circulation le produit litigieux pourrait faire valoir qu’il est victime de cybercriminalité (La machine connaît sa propre vulnérabilité exprimée notamment par l’image organique du virus informatique), l’objet ayant subi un détournement par rapport à sa fonction d’origine.
 
Certains diront la difficulté, à l’occasion, de remonter la chaîne des causalités. D’autres opposeront que l’enregistrement des données, avec les véhicules connectés, facilitera de mieux en mieux la détection des causes exactes de sinistres. Le mouvement de la jurisprudence, dans différents domaines et époques, montre qu’il existe des solutions. Lorsque la preuve de la faute s’est avérée quasiment impossible, du moins fort difficile, a été créé le régime de la responsabilité du fait des choses. Lorsque la causalité est délicate à appréhender, le législateur ou le juge forge des présomptions. Le droit ne prétend pas à l’exactitude absolue, scientifique (à relativiser d’ailleurs !), surtout si celle-ci est trop difficilement atteignable (comp. sur la capacité à la preuve, Bloch L., Vaccinations, sclérose en plaques et preuves. La CJUE relance le débat (CJUE 21 juin 2017, aff. C-621/15, RCA 2017, focus n° 19, D. 2017, p. 1807, note Borghetti J.-S.). Le droit se contente de la plus ou moins forte vraisemblance. Et il tranche en opérant des choix qui permettent de faire supporter les conséquences des risques à certains et pas à d’autres. Mais, répétons-le, avant les éventuels recours, pour les assurés, directement victimes, la loi Badinter conserve son efficacité.
Source : Actualités du droit