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Pierre Person, député LREM : « Si les acteurs blockchain ne peuvent pas ouvrir un compte bancaire en France, une réglementation, même ambitieuse, ne servira à rien »

Tech&droit - Blockchain
10/10/2018
Voté hier par l'Assemblée nationale, le projet de loi Pacte insère à l'article 26 un cadre de régulation pour les initial coin offerings. Un texte qui a beaucoup évolué au cours de son examen. Le point sur les avancées et ce qu'il reste à faire pour proposer un cadre réellement attractif, avec Pierre Person, député LaREM.
Actualités du droit : Est-ce que vous êtes satisfait de la rédaction de l’article 26 ?
Pierre Person : Nous avons abouti à un dispositif complet, qui avait été beaucoup travaillé en amont, tant d’un point de vue des instances de supervision (AMF, ACPR et Banque de France), qu’avec le Trésor, le cabinet de Monsieur le ministre Bruno Le Maire et les parlementaires. Nous sommes très satisfaits de la solution adoptée.
 
ADD : Le cadre de régulation a-t-il finalement été élargi à d’autres acteurs ?
P.P. : Le gouvernement avait travaillé initialement sur la question des émetteurs d’ICOs. Pour ma part, cela fait six mois que je travaille sur les crypto-actifs. Il me paraissait être une forme d’incomplétude de traiter uniquement des ICOs. Je pense que c’est une partie du sujet, qui va beaucoup évoluer dans les années à venir. Mais la crypto-économie ne se réduit pas aux ICOs. Nous avons donc étendu le spectre, en incluant une partie relative aux intermédiaires et aux prestataires de services qui aujourd’hui opèrent dans le domaine des crypto-actifs.
 
C’est pour cela qu’entre le moment de la commission et le moment de la séance, il y a eu tout un arsenal supplémentaire qui a été déposé, travaillé par les parlementaires et l’exécutif.
 
Ce dispositif vient ainsi compléter celui qui avait été prévu initialement. Nous couvrons maintenant l’intégralité de l’écosystème.
 
ADD : Vous êtes également revenu sur les conséquences du retrait du visa par l’AMF.
P.P. : Sur la question du retrait du visa, l’enjeu était à l’époque de ne pas trop contraindre les opérateurs. Le sujet est que lorsque vous obtenez un label, vous faites le pari que cela vous ouvre des opportunités supplémentaires. C’est une manière de mettre en avant un produit, de garantir la sécurité des investisseurs et de mieux les protéger, sans trop de contraintes réglementaires.
 
Nous avons fait le choix d’encadrer les modalités de retrait de l’agrément par l’AMF, parce nous craignons que les émetteurs candidat au label soient inquiets par le dispositif jusqu’alors retenu. Si la version initiale avait été maintenue, ils auraient eu davantage de contrainte lors du potentiel retrait de l’agrément que s’ils n’en avaient pas fait la demande.
 
ADD : Qu’en-est-il de l’amendement qui prévoit de donner aux émetteurs des ICO un label antérieur à la loi pacte ? A-t-il été maintenu ?
P.P. : Oui, il a dû être retiré. J’avais soutenu qu’on puisse demander la labellisation des ICO qui sont intervenues avant la loi Pacte. Plusieurs ICO françaises ont en effet été émises en 2018.
 
C’était une demande des acteurs, qui était remontée lors de l’évènement que j’ai organisé dans le cadre de ma mission d’information, le 6 septembre dernier, avec des porteurs de projets, des prestataires blockchain et des institutionnels et les acteurs classiques comme l’ACPR et l’AMF, à Station F.
 
ADD : Il y a peut-être un point du dispositif voté sur lequel vous avez paru plus réservé : les conditions pour garantir l’accès au compte bancaire. Pouvez-vous nous en préciser les raisons ?
P.P. : Il est vrai que la problématique de l’accès au compte était peu couverte par l’article 26 du projet de loi PACTE.
C’est pour cela que j’ai déposé l’amendement n° 2728, qui prévoit que « En cas de difficulté persistante d’accès à des services de dépôts et de paiement dans les établissements de crédit, les émetteurs de jetons ayant obtenu le visa mentionné à l’article L. 552‑4 ou les prestataires de services de jetons définis à l’article L. 549‑26 et ayant obtenu un agrément prévu à l’article L. 549‑29 ont accès à un service de dépôt et de paiement auprès de la Caisse des dépôts et consignations ». Celui-ci a été adopté lors de son examen en hémicycle.
 
Mes collègues ont été convaincus, mais c’est vrai que ça surpris que l’amendement soit voté, parce que cela arrive très rarement qu’un amendement soit adopté contre l’avis du la commission et du gouvernement.
J’avais pourtant déjà expliqué à l’exécutif, bien en amont, que politiquement nous devions envoyer un signal. Il s’agissait ici clarifier notre position sur la possibilité d’ouverture de compte en France car, malheureusement, beaucoup d’acteurs économiques et mêmes associatifs qui proposent des services en lien avec la blockchain ne peuvent accéder à ce service dans notre pays.
 
Pour y remédier, il y a en effet trois solutions.

Soit on ne fait rien. Dans ce cas c’est bien d’avoir un régime fiscal lisible et stable, incitatif, que l’on encadre les filières et notamment les plateformes, mais si vous n’êtes pas en capacité d’ouvrir un compte bancaire, tous nos entrepreneurs vont quitter la France. La fuite des cerveaux va continuer. Ça ne sert à rien de créer tout un écosystème réglementaire si un système économique n’existe pas.

Soit on fait confiance aux acteurs en pariant sur le fait que la labellisation va permettre aux banques d’être beaucoup moins frileuses. Ces certifications donnent des garanties en termes de KYC, assurant également que les organismes sont audités. Les critères sont aujourd’hui dans l’article 26, alinéa 6, qui ont été complétés par l’amendement que nous avons déposé. En fonction des différents services et notamment de leur labellisation, on s’assure ainsi que des garanties soient données aux investisseurs et aux consommateurs. Le visa va sans doute permettre de rendre les banques un peu moins frileuses. Mais cela va prendre longtemps : 7 à 10 mois. L’enjeu aujourd’hui est d’avoir une réponse immédiate : on ne peut pas prendre ces mois de retard, car ils seront extrêmement préjudiciables dans la mesure où on est dans un système qui est en phase d’amorçage, avec un volet en recherche et développement important. Tout ce que l’on peut obtenir maintenant aura un effet multiplicateur dans le futur.  

Soit l’on prévoyait un cadre un peu plus incitatif pour l’ouverture de comptes, ce qui était précisément l’objet de mon amendement.
 
La question était alors de savoir quel acteur institutionnel devait ouvrir ces comptes.

Aujourd’hui, on le sait peu, mais certaines institutions ont une position très politique et défende leur propre vision, au détriment de celles du Gouvernement. Le débat a donc été posé : Est-ce que c’était à la Banque de France ou la Caisse des dépôts et consignation (CDC) de le faire ? J’ai opté pour la CDC, mais ce sujet n’est peut-être pas encore clos.
 
ADD. Le rapporteur Barrot avait l’air de pencher pour la Banque de France…
P.P. : Oui, parce que la proposition lui a été faite par Mme Laure de La Raudière. Nous avions tous les deux déposé le même amendement. Les autres parlementaires nous ont suivi.
 
On va voir si dans une deuxième lecture, cet amendement évolue.

Mais c’était surtout un signal envoyé à l’écosystème, pour souligner que nous étions bien conscient du sujet.
Si nos acteurs économiques ne peuvent pas ouvrir un compte bancaire en France, une réglementation, même ambitieuse, ne servira à rien.
 
ADD : Est-ce que vous pouvez m’en dire un peu plus sur les grandes lignes du rapport que vous allez publier ?
P.P : Les grandes orientations sont déjà comprises dans le dispositif législatif que nous venons de voter. Il n’y aura pas sur ce point de vue plus d’éléments. Tous le travail effectué dans le rapport a été décliné dans le travail avec le gouvernement. En revanche, il y aura tout un le volet fiscal complémentaire, ainsi que des mesures pour favoriser le développement de l’écosystème.
 
Sur la fiscalité, l’enjeu pour nous c’est d’avoir une grille plus lisible, stable et incitative. Sur ce volet, tant pour les personnes morales que pour les personnes physiques, nous sommes en train de travailler à ce que les régimes juridiques et fiscaux soient attractifs.
 
ADD :  Quelles sont les grandes orientations sur cette question de la fiscalité des cryptoactifs, côté particulier comme entreprise ?
P.P : Nous sommes encore en cours de finalisation et de discussion avec le cabinet de Bruno Le Maire. Ce n’est pas encore abouti mais nous devrions aboutir sur des solutions qui satisfassent les acteurs du secteur.
 
Nous travaillons par exemple actuellement sur une imposition des plus-values en crypto-actifs au moment du cash-out en FIAT, et assujetti au régime du PFU. Les transactions de crypto-actif en crypto-actif pourraient également être exonérés d’impôts et nous envisageons un report d’imposition pour les apports de crypto-actifs à une société.
Le cadre fiscal complet sera introduit par amendement au projet de loi de finances pour 2019, actuellement examiné en commissons à lAssemblée nationale.
 
ADD : Pouvez-vous nous préciser quand votre rapport va sortir ?
P.P : Début novembre.
 
 
Propos recueillis par Gaëlle Marraud des Grottes
Source : Actualités du droit