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Arbitrage en ligne : les recommandations du Club des juristes

Affaires - International
04/04/2019
La commission « Arbitrage en ligne » du Club des juristes a présenté son rapport et ses recommandations le 3 avril. Numérique, intelligence artificielle : que fau(drai)t-il faire ?
S’agissant du « surgissement de l’AI dans l’arbitrage », Bernard Cazeneuve, le président du Club des juristes rappelle les maîtres mots à retenir que sont « transparence » et « sécurisation », ce que confirment les avocats-intervenants qui présentent les différents thèmes du rapport sur l’arbitrage en ligne.

Le Conseil constitutionnel a déjà posé une limite, précise le président du groupe de travail sur l’arbitrage en ligne, Thomas Clay : une décision du 12 juin 2018 retient en substance, s’agissant d’une décision administrative, que les algorithmes apprenants ne doivent pas se substituer à l’humain. Un robot ne devant donc pas remplacer un arbitre, ce professeur à l’École de droit de la Sorbonne résume sa vision de l’avenir de l’arbitrage avec l’AI en une formule limpide : « oui, à l’assistance par les AI, non au remplacement de l’arbitre par l’AI » ! Une philosophie que partagent largement les autres membres du groupe de travail.
 
État des lieux
Sophie Sontag-Koenig, Maître de conférences à l’Université Paris Nanterre, pointe l’état des lieux est déceptif s’agissant du contenu de la législation ; elle est en revanche plus positive s’agissant de la pratique.

Côté législation, l’arbitrage en ligne n’est pas spécifiquement réglementé (ni en droit français, ni en droit européen), mais l’avancée via l’article 4 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice est soulignée (cet article dispose notamment que les services d’arbitrage en ligne « ne peuvent avoir pour seul fondement un traitement algorithmique ou automatisé de données à caractère personnel. Lorsque ce service est proposé à l'aide d'un tel traitement, les parties doivent en être informées par une mention explicite et doivent expressément y consentir. Les règles définissant ce traitement ainsi que les principales caractéristiques de sa mise en œuvre sont communiquées par le responsable de traitement à toute partie qui en fait la demande. Le responsable de traitement s'assure de la maîtrise du traitement et de ses évolutions afin de pouvoir expliquer, en détail et sous une forme intelligible, à la partie qui en fait la demande la manière dont le traitement a été mis en œuvre à son égard »).

En dehors de cette exception, il faut donc se référer à d’autres législations, comme par exemple l’enregistrement numérique partagé (blockchain), la loi du 20 juin 2018 sur la protection des données, celle du 7 octobre 2016 sur l’open data, etc. Côté pratique, l’arbitrage existe avec divers acteurs installés (tel Cyberjustice) ou d’autres émergents (comme eJust).
 
Et demain ?
Jean-Yves Garaud, avocat à la Cour, se demande à quel horizon aura lieu le remplacement de l’humain par l’IA ? Il souligne certaines difficultés de l’arbitrage numérique et notamment au regard de l’aspect prédictif : la machine se heurte encore aux difficultés de la langue ; elle ne distingue pas encore ce qui est accepté par les parties de ce qui demeure en discussion, etc.

En revanche, elle peut être un outil statistique pour des résultats potentiels avec un faible risque d’erreur (pour la quantification du dommage par exemple). Demeurent aussi quelques incertitudes sur la possibilité de s’assurer de la transparence d’un algorithme, de l’absence de biais ou encore de potentiels contrôles.
 
Elie Kleiman, Président de « Paris, place d’Arbitrage » et avocat, confirme qu’à ce jour l’AI en arbitrage se résume à zéro, hors d’une aide à la gestion des masses documentaires (et même sur ce point il rappelle que les sentences peuvent être confidentielles, ce qui réduit l’aspect prédictif). S’il était recouru à l’AI par les arbitres, ceux-ci devraient, pour répondre à l’impératif de transparence, en informer les parties, qui devraient alors donner leurs accords.
 
S’agissant de l’arbitrage de masse, Jean-Pierre Grandjean, avocat à la Cour, estime qu’un remplacement par un arbitre-AI est possible, même si c’est difficile à admettre.
 
Quant à la sentence attendue par les parties, Louis Degos, avocat à la cour, estime qu’il faut à la fois du numérique dans la sentence (les outils peuvent aider à sa rédaction) et la sentence dans le numérique avec les signatures numériques des arbitres et surtout avec, ce qui n’existe pas, l’exequatur numérique sans laquelle il faut toujours recourir « à la bonne vielle impression ».
 
Recommandations du rapport
 
Des éléments exposés ci-dessus, 12 recommandations sont émises et pourront servir notamment aux pouvoirs publics dans la mise en œuvre des dispositions à venir. Nous retenons les suivantes :
 
– recommandation n° 3 : Limiter l’intervention de l’intelligence artificielle dans la résolution du litige à la quantification du dommage.
 – recommandation n° 4 : Faire peser sur l’arbitre et sur le centre d’arbitrage y ayant recours, une obligation de révélation de l’utilisation d’un algorithme dans le traitement du litige.
 – recommandation n° 5 : Assurer un droit de recours devant une personne humaine contre une décision rendue au moins partiellement par voie algorithmique. À cet égard, la Cour de cassation pourrait se doter d’un pôle « intelligence artificielle » et assurer ainsi ce contrôle.
 – recommandation n° 6 : Imposer une obligation de révélation à la charge du concepteur de l’algorithme portant sur l’existence et les modalités de l’algorithme lui-même.
 – recommandation n° 7 : Imposer que l’utilisation de l’intelligence artificielle dans le traitement d’une procédure arbitrale ne dispense pas le tribunal arbitral de son obligation de motiver la sentence.
 – recommandation n° 8 : Assurer que la signature électronique de la sentence par le tribunal arbitral en ligne présente l’ensemble des garanties nécessaires à sa sécurité, notamment en matière d’authenticité de la signature et de la sentence.
 – recommandation n° 9 : Modifier le Code de procédure civile pour permettre de conférer directement l’exéquatur à une sentence rendue en ligne sans passer par la procédure écrite traditionnelle.
 

Plus d’information sur ce sujet dans Le Lamy contrats internationaux, n° 272-14.
Source : Actualités du droit