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Blockchain : et maintenant, l’étape d’après…

Tech&droit - Blockchain
15/04/2019
Le 15 avril dernier, lors de la Paris blockchain conférence organisée à Bercy, acteurs et régulateurs sont venus débattre de leur vision des bénéfices de la blockchain et des cas d’usage que cette technologie pourrait adresser. Avec en clôture, la révélation de la feuille de route du gouvernement. 
Cette matinée était organisée « au ministère de l’Économie et des Finances pour démontrer le soutien de l’État à cette technologie et notre volonté de faire de la France une référence en matière de la Blockchain » a tenu à souligner Bruno Le Maire, qui lançait ainsi la première Paris blockchain week. Une volonté relayée également par Cédric O, secrétaire d’État au Numérique : « Notre objectif est clair et simple, nous voulons attirer et garder les futurs champions de la blockchain, nous voulons être leader dans le secteur. La France a l'écosystème et les talents pour ça ».
 
La France en ordre de marche pour être leader européen en matière de blockchain ?
« Cette technologie aura un impact sur toute notre société, prévient Pierre Person, l’un des crypto-députés. Elle va bouleverser tous les usages ». Pour ce député, un écosystème favorable repose sur trois composantes : une législation favorable (chose faite avec la loi PACTE), des expérimentations publiques et une vision européenne.
 
Pour Laure de La Raudière, autre crypto-député, « la blockchain va révolutionner la confiance au sein des échanges. L’État a un rôle fondamental, car il est souvent le régulateur ou le tiers de confiance. Crises sanitaires, données de santé, etc. Les domaines d’application sont immenses » (pour une présentation de cas d’usage, v. le rapport de Laure de La Raudière et Jean-Michel Mis, Assemblée nationale, Mission d'information sur les chaînes de blocs (blockchain), rapp., 14 déc. 2018, p. 41 et s. ; v. également, La blockchain, une technologie stratégique pour la France, Actualités du droit, 14 déc. 2018).
 
En pratique, côté régulation, l’approche choisie par le régulateur a, dès le début, été claire : cas d’usage par cas d’usage, il s’agit de faire le point sur le droit existant et de ne légiférer, a minima, que si des situations de blocage sont avérées.
 
Le point sur les textes déjà adoptés
– ord n° 2016-520, 28 avr. 2016 : utilisation d’un DEEP, pour l'émission et la cession de minibons (C. mon. et fin., art. L. 223-1 à L. 223-12), c’est-à-dire de bons de caisses, aux montants inférieurs à 2,5 millions d'euros ;
– ord. n° 2017-1674,  8 déc. 2017 : utilisation d’un DEEP pour la représentation et la transmission de titres financiers : l'inscription d'une émission/cession de titres financiers dans un DEEP aura les mêmes effets que l'inscription en compte de titres financiers ;
D. n° 2018-1226, 24 déc. 2018, JO 26 déc. : utilisation d'un dispositif d'enregistrement électronique partagé pour la représentation et la transmission de titres financiers et pour l'émission et la cession de minibons ;
L. n° 2018-1317, 28 déc. 2018 de finances pour 2019, JO 30 déc. : cadre fiscal
– Règl. n° 2018-07 du 10 décembre 2018 modifiant le règlement ANC n° 2014-03 du 5 juin 2014 relatif au plan comptable général modifié ;
– la loi PACTE adoptée le 11 avril 2019 (non encore promulguée) : TA AN n° 258, 2018-2019, art. 85 et 86 : régime de l’émission public de jetons et encadrement des prestataires de services sur actifs numériques.
 
Les initial coin offerings.-  Après les échanges de titres et les minibons (v. supra), les initial coin offerings sont le troisième cas d’usage pour lequel le législateur est intervenu. La loi PACTE vient, en effet, de réguler l’offre publique de jetons (v. TA AN n° 258, 2018-2019, art. 85 et La loi PACTE définitivement adoptée, Actualités du droit, 11 avr. 2019).
 
Mais est-il déjà trop tard ? Le marché ne s’est-il pas déjà retourné ? Pour Robert Ophèle, président de l'AMF, il n’en est rien : « Les ICOs ne sont pas du tout mortes, je le confirme. Elles vont juste se recentrer sur leur domaine naturel et représenteront ainsi une forme de financement intéressante » (pour une analyse détaillée des ICO réalisées, v. ICO françaises : un nouveau mode de financement, AMF, 14 nov. 2018). Selon le magazine Challenges, 32 demandes de visa auraient cependant déjà été déposées à l’AMF. D’autres sources avancent le chiffre de 50 dossiers déposés. Une autorité qui se met en ordre de marche (la loi PACTE implique une modification de son règlement général, qui devrait être publié en septembre) : « la mise en œuvre effective du cadre des ICOs aura lieu en octobre 2019 », a d’ailleurs indiqué le président de l’AMF.
 
Précisons que l’une des craintes des acteurs de l’écosystème était la durée d’obtention de cet agrément qu’ils anticipaient assez longue. Finalement, le délai probable serait de 20 jours ouvrés (même délai, donc, que pour les introductions en bourse, ou IPO, et ce, hors interruption pour demande d’informations complémentaires).
 
Mais les regards sont déjà largement tournés vers la séquence suivante : « nous travaillons déjà sur la prochaine étape, a ainsi indiqué Robert Ophèle : les STO et la dimension européenne ». Des security token offerings (STO) autrement plus révolutionnaires, pour le président de l’AMF, que les utility token. Concrètement les utility tokens pourraient faciliter des usages là où les STO pourraient révolutionner le financement. Mais cela nécessite auparavant d’adapter la réglementation européenne sur les instruments financiers pour libérer le potentiel des STO. Vaste projet.
 
Les smart contracts, autre cas d’usage.- Les smart contract, terme marketing pour Arthur Breitman, cofondateur de Tezos, qui « préfère l’expression séquestre automatique, parce que ce smart contract détermine le détenteur d’un droit », ne sont pas encore un cas d’usage mature. Néanmoins, indique Laure de La Raudière, députée d’Eure-et-Loire, « dans notre rapport réalisé avec Jean-Michel Mis, nous avons envisagé un cas d’usage pour les smart contract : l’exécution d’un contrat, pour lequel nous n’avons pas identifié de points bloquants dans notre droit positif » (v. Assemblée nationale, Mission d'information sur les chaînes de blocs (blockchain), rapp., 14 déc. 2018 et v. La blockchain, une technologie stratégique pour la France, Actualités du droit, 14 déc. 2018). Comme par exemple pour l’indemnisation des retards d’avion ou l’assurance indicielle.
 
La liquidité des parts sociales, une autre application.- Pour Ambre Soubiran, PDG de Kaiko « au moment de l’émission des titres on aura toujours besoin d’intermédiaires (avocats, notaires etc.), mais dans la vie secondaire d’un actif, on peut se passer d’intermédiaires : c’est là où la blockchain fait du sens ». Et cette technologie peut beaucoup aider à rendre liquides ces actifs : « une PME qui veut lever de l’argent n’a pas actuellement d’infrastructure agile et digitale, qui lui permette d’avoir une liquidité sur ses titres ».
 
Autres cas d’usages évoqués, la traçabilité en matière agro-alimentaire (celle du fameux poulet blockchain Carrefour, depuis déclinée pour la purée Mousline) ou en matière d’énergie (certification de la création d’énergie solaire, par exemple). « La digitalisation des monnaies et des actifs est l’une des grandes tendances à venir », a, en outre, souligné Jean-Pierre Landau, sous-gouverneur honoraire de la Banque de France et auteur d’un rapport sur les cryptomonnaies (Les cryptomonnaies, 4 juill. 2018).
 
Les prochaines étapes : ce que prévoit la feuille de route de Bruno Le Maire
La loi PACTE n’est qu’une première étape, d’autant que l’écosystème a beaucoup bougé depuis le début de l’examen de cette loi.
 
Pourquoi la France a-t-elle décidé de prendre cette technologie au sérieux ?
– « au-delà de l'innovation technologique, il y a dans la blockchain une aspiration politique, celle de décentraliser la confiance et de remplacer une autorité verticale par la certification collective » ;
– « la blockchain est un modèle concurrentiel auquel je crois aussi profondément parce qu'il s'érige par principe contre les monopoles » ;
– « la blockchain va avoir un impact sur nos entreprises et (…) je préfère que la France ait un temps d'avance dans ces technologies plutôt que d'avoir un temps de retard ».
Bruno Le Maire, 15 avr. 2019
 
Le ministre de l’Économie a d’abord cité l’exemple de la finance et de son édifice complexe d’infrastructures destiné à assurer la sécurité des transactions (places de marché, chambres de compensation, systèmes de règlement-livraison). « Je crois que le protocole blockchain pourra, à terme remplacer ces infrastructures et fournir une solution complète et décentralisée qui permettra de réaliser des transactions, d'enregistrer et de stocker de la valeur », a indiqué Bruno Le Maire, citant l’initiative de Place Liquid Share.

Actant du dynamisme de l’écosystème français, le ministre a par ailleurs révélé que la consultation menée par la Direction générale des entreprises (v. Consultation publique sur l’écosystème français des DLT : les précisions de la DGE, Actualités du droit, 18 févr. 2019) avait recensé 200 projets fondés sur des distributed ledger technology (DLT). « C'est bien la preuve, s’est réjoui Bruno Le Maire, qu'il y a un foisonnement d'activités et d'initiatives sur la Blockchain qui sont de très bonne augure ».
 
Ce constat très positif posé, « Il faut maintenant que nous franchissons une nouvelle étape (…). Je pense qu’il faut aller plus loin et accélérer encore le déploiement de cette technologie ».
 
Et le ministre a identifié cinq enjeux, dans une approche similaire à celle déployée pour l’intelligence artificielle :
  • un déploiement par filière : « Trois filières industrielles vont dès maintenant s'engager pour développer la technologie Blockchain dans leurs activités. Il s'agit de l'industrie de la construction pour sécuriser les étapes du parcours de rénovation thermique, l'industrie agroalimentaire pour développer des outils de traçabilité qui vont devenir de plus en plus essentiels pour le consommateur en matière d'alimentation, et l'industrie énergétique pour émettre et sécuriser les certificats de production d'énergie solaire » ; concrètement, des contrats stratégiques de filière seront signés ; les actions conduites par ces filières pourront être financées d'ici fin 2019 dans le cadre de l'appel à projets "Accompagnement et transformation des filières" du programme d'investissement d'avenir (PIA) ;
  • des efforts de financement à la hauteur : « L'État doit investir à travers les fonds dont il dispose pour l'innovation de rupture dans la Blockchain » : cela passera par le concours d'innovation croissance, financé par le programme d'investissements d'avenir avec un appel à projets qui est ouvert jusqu'au 14 mai et qui permettra de financer des projets innovants à fort potentiel pour l'économie française notamment fondée sur la blockchain ;
  • identification des briques et verrous scientifiques et techniques afin de renforcer la performance, la sécurité et la soutenabilité de la blockchain (v. infra, la mise en place d'une mission de réflexion) ; 
  • un accompagnement des porteurs de projets blockchain, via le guichet France Expérimentation ; 
  • une évolution de la régulation : nous devrons « continuer à adapter notre environnement juridique à la blockchain au niveau national mais aussi au niveau européen et international. Je vous ai parlé du cadre du projet de loi PACTE mais des modifications de notre cadre juridique seront certainement nécessaires pour permettre l'adaptation de cette technologie à d'autres secteurs » ; les acteurs qui font face à des situations de blocage sont donc incités à se faire connaître auprès de France Expérimentation.
Le ministre de l’Économie a, une nouvelle fois, rappelé la nécessité d’une convergence des régulations qui pourrait s’inspirer du modèle français : « Je vais proposer que cette régulation française de la blockchain serve de modèle pour le développement d'une régulation de la blockchain au niveau européen afin de construire un marché unique la blockchain. Je veux également continuer à encourager les travaux sur ce sujet au niveau du G20 à la suite de l'initiative que j'ai porté avec mon homologue allemand l'année dernière ».
 
Bruno Le Maire a, également, insisté sur la nécessité de faire progresser cette technologie (sécurité face au blanchiment et au financement du terrorisme, consommation énergétique, etc.).

Et last but not least, le ministre a souligné les enjeux de souveraineté derrière ces protocoles : « sur ces questions de sécurité et de sûreté de la technologie, je souhaite également engager une mission de réflexion pour permettre le développement d'un modèle de blockchain sûr, compatible avec l'exercice de notre souveraineté ». Cette mission, qui devrait être lancée en octobre 2019, aura pour objectif :
– d'identifier des voies d'amélioration des méthodes de consensus ;
– de renforcer la gouvernance et l'exercice de la souveraineté dans le contexte de la blockchain ;
– d'apporter des garanties d'interopérabilité et d'accessibilité dans son usage.

L’État français doit, en effet, anticiper l’émergence de grands acteurs : « Chacun voit bien que la mainmise technologique par un petit nombre d'acteurs sur d'importantes capacités de calcul et de financement pourrait poser un problème de souveraineté majeur ». Une réflexion essentielle à l’heure où, par ailleurs, certains projets blockchain se déploient pour l’exécution de missions de service public sur telle ou telle blockchain…
Source : Actualités du droit