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Taxe GAFA : la commission mixte paritaire s’annonce difficile…

Tech&droit - Données
27/05/2019
Le 21 mai 2019, le Sénat a adopté avec modifications le projet de loi portant création d'une taxe sur les services numériques. Au total, sur l’article 1er, 18 amendements sur les 70 déposés ont été adoptés. Des débats qui ont révélé des angles d’appréciation parfois très différents.
« Il est indispensable de rétablir de la justice fiscale et de faire en sorte que ceux qui utilisent les données de nos compatriotes et de nos entreprises contribuent à l’impôt au même niveau que les entreprises françaises. Il n’y a aucune raison qu’ils paient quatorze points d’impôt sur les sociétés de moins ! », a martelé au cours des débats parlementaires Bruno Le Maire (v. sur ce projet de taxe,
Taxe GAFA : ce que prévoit le texte voté en 1re lecture par l’Assemblée nationale, Actualités du droit, 9 avr. 2019).


 
Le rendement espéré de cette taxe
– rendement initial de 400 millions d’euros
– plus de 600 millions d’euros d’ici à 2021
– rendement moyen estimé à 500 millions d’euros, soit 2 milliards d’euros sur quatre ans. 
Une taxe qui toucherait environ trente sociétés.
(Le Maire Br., Sénat, compte rendu des débats, 21 mai 2019)
 

Rappelons que ce projet de loi, actuellement étudié au Parlement, en procédure accélérée (une seule lecture devant chaque Assemblée, puis Commission mixte paritaire en l’absence d’accord sur le texte) :
  • introduit une taxe sur le chiffre d'affaires que les grandes entreprises du numérique retirent de la valeur créée à raison du « travail gratuit » des utilisateurs français (TA Sénat n° 101, 2018-2019, art. 1er) ;
  • modifie en 2019 la trajectoire de baisse de l'impôt sur les sociétés initialement votée dans la loi de finances pour 2018, afin de combler une part du besoin de financement résultant des mesures de soutien au pouvoir d'achat adoptées en décembre 2018 (TA Sénat n° 101, 2018-2019, art. 2).
Le constat fait et souvent partagé sur la nécessité de traiter la problématique de la fiscalité du numérique, les échanges au Sénat autour de l’article 1er du projet de loi portant création d’une taxe sur les services numériques et modification de la trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés, ont montré que la somme des désaccords restait importante.
 
Rappel sur les services visés par cette taxation
– l’intermédiation entre internautes avec les plateformes ;
– la fourniture de prestations de ciblage publicitaire ;
– la vente à des tiers des données des internautes.
 
Point sur l’état des négociations européenne et internationale
Si vingt-quatre pays européens sont désormais en faveur de ce dispositif (v. Sénat, compte rendu des débats, 21 mai 2019), l’unanimité exigée en matière fiscale bloque l’avancée de tout projet de taxation européenne. D’autres pays (Espagne, Italie, Grande-Bretagne) étudient également la taxation des services numériques (TSN), mais la France est la seule à être aller aussi loin, peut-être bientôt rejointe par l’Autriche.
 
Les discussions se poursuivent en parallèle à l’OCDE : « Nous faisons le choix d’une taxe nationale, afin de nous donner toute la crédibilité nécessaire à l’OCDE pour obtenir une solution internationale », a ainsi indiqué le ministre de l’Économie et des Finances.

Les modifications apportées par le Sénat
Voici les points qui ont été modifiés par amendements à l’article 1er :  
Arbitrages en cours
Loi à durée limitée.- Le ministre de l’Économie a précisé ne pas être favorable à une limitation dans le temps de cette loi : « il me paraît indispensable de ne pas borner dans le temps cette taxation sur les services numériques. L’engagement est clair et simple : le jour où un accord sera obtenu à l’OCDE, nous retirerons notre taxe nationale, mais nous la conserverons tant qu’il n’y en aura pas ».
 
Un compromis a été proposé : laisser un délai supplémentaire aux grandes entreprises du numérique pour déterminer les éléments permettant la déclaration et la liquidation de l’acompte. L’échéance d’octobre 2019 serait repoussée au mois de décembre 2019. Et par cohérence, la date limite pour formuler l’option sur le régime de groupe, prévue dans tous les régimes fiscaux serait reportée du mois de septembre au 30 octobre 2019. Mais il n’a pas été retenu par le Sénat.
 
Assiette de la taxe.- Comme l’a relevé Albéric de Montgolfier, « certains trouvent que la taxe est trop large, d’autres qu’elle ne l’est pas assez… Le choix de la commission est d’en rester à l’équilibre trouvé dans le projet européen, aujourd’hui repris par le Gouvernement. Le sujet est extraordinairement complexe et assez incertain sur le plan juridique. La France fait office de précurseur en la matière ».
 
Les débats ont, notamment, tourné autour de l’exclusion du champ de taxe des services proposés par Netflix. Cédric O, secrétaire d’État au Numérique, a alors tenu à souligner que « Le sujet n’est pas de taxer indifféremment les grandes entreprises de l’internet, c’est d’aller chercher des acteurs qui posent des problèmes systémiques, car ils utilisent un nouveau modèle dit immersif, qui fait qu’ils connaissent tout de vous, réutilisent vos données et les monétisent. Pour cela, il s’agit de chercher, à travers un certain nombre de critères certes perfectibles, mais issus d’une négociation européenne, un certain type de modèle d’affaires fondé sur la réutilisation des données ».
 
Autre type d’entreprises au cœur des discussions, celles spécialisées dans les systèmes informatisés de réservation qui disposent d’un établissement stable en France et payent normalement leurs impôts. Ces acteurs risquent de se voir frapper par cette nouvelle taxe, ce qui pourrait avoir un impact sur les capacités de recrutement et sur le secteur du voyage. Bruno Le Maire avait indiqué que ses services travaillaient actuellement à la détermination, pour les entreprises ayant une activité mixte, de la part de services n’entrant pas dans le champ de la taxe. Ce qu’a confirmé Cédric 0 : « un travail est en effet en cours avec les entreprises concernées, car il nous apparaît qu’il n’y a pas de base légale pour les exclure totalement : si une partie des services qu’ils peuvent offrir est concernée, une autre ne l’est pas. Nous travaillons étroitement avec les services fiscaux de manière à pouvoir leur donner une idée de l’assiette qui sera concernée et, dans des cas particuliers bien précis, leur donner plus de certitudes, par le biais d’un rescrit ».
 
Équité de traitement entre commerce physique/en ligne.- Comme lors des débats à l’Assemblée nationale, cette problématique de l’équité entre commerce physique et commerce en ligne est apparue prégnante : « le bon moment pour en débattre sera l’examen du projet de loi de finances pour 2020, a précisé le rapporteur de ce texte. Nous vous ferons alors des propositions pour assurer cette équité de traitement entre commerce physique et commerce en ligne. Il s’agit d’un sujet majeur, sur le plan de la fiscalité nationale comme sur celui de la fiscalité locale ».
 
Le ministre de l’Économie et des Finances a indiqué que le rapport (prévu par l’article 1er de ce projet de loi de taxation des services numériques, il a pour objet précisément de dresser un état des lieux de la fiscalité pesant sur les entreprises du secteur du commerce ; il précisera les différences de prélèvement entre les entreprises du commerce physique et les entreprises du commerce en ligne, notamment transnationales) est bien en cours de rédaction. Il devrait être remis à la rentrée, c’est-à-dire avant l’examen du projet de loi de finances pour 2020.
 
Quid du critère de la localisation ?.- L’un des enjeux de ce texte, c’est en effet la localisation : « où est l’internaute ? Aux termes du projet de loi, c’est par l’adresse IP ou par tout autre moyen qu’on le sait. Or l’adresse IP, ce n’est pas suffisant, soulève Albéric de Montgolfier. J’ai appris en discutant avec la CNIL pour préparer ce projet de loi, que certains téléphones d’une grande marque avaient tous la même adresse IP. Par ailleurs, certaines entreprises ont des serveurs dont l’adresse IP est étrangère (…). Par conséquent, à l’avenir, l’adresse IP ne sera pas forcément un moyen fiable et précis de localisation, alors que c’est la base même de la taxation ».
 
Le projet de loi prévoit les critères de localisation suivants :
  • côté territoire : « La France s’entend du territoire national, à l’exception des collectivités régies par l’article 74 de la Constitution, de la Nouvelle-Calédonie, des Terres australes et antarctiques françaises et de l’île de Clipperton » ;
  • côté utilisateur : « L’utilisateur d’une interface numérique est localisé en France s’il la consulte au moyen d’un terminal situé en France ».
Les sénateurs ont donc voté le renvoi à un décret en Conseil d’État de la précision de ces critères de localisation.
 
Un projet de taxe sur les services numériques qui ne sera pas notifié à la Commission européenne aux motifs, selon Bruno Le Maire que « cela retarderait de plusieurs mois l’entrée en vigueur de cette taxe et affaiblirait les négociations à l’OCDE (…). J’ai bon espoir que nous parvenions à un accord d’ici à la fin de l’année ». Précisons que les 27 et 28 mai 2019, les 129 pays de l’OCDE vont ainsi travailler à un programme de travail sur l’imposition des entreprises du numérique (Les Échos, Fiscalité numérique, le plan de bataille prend forme à l’OCDE, 27 mai 2019). Avec pour objectif, l’adoption d’un document d’une trentaine de pages détaillant toutes les options.
 
Prochaine étape, côté taxe française, la commission mixte paritaire, dont la composition et la date de convocation ne sont pas encore connues.

 
Source : Actualités du droit