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Rebondissements dans le lancement de Salto, plateforme de télévision et de vidéo à la demande

Affaires - Droit économique
03/03/2020
Le « Netflix à la française » n’a pas encore vu le jour qu’il fait déjà beaucoup parler de lui. La date de lancement de la plateforme demeure incertaine en raison des recours introduits par les concurrents de Salto. Le 26 février, Free a saisi le Conseil d’État d’une demande d’annulation de l’autorisation accordée par l’Autorité de la concurrence (Aut. conc., déc. n° 19-DCC-157, 12 août 2019). Quelques jours auparavant, c’est la plateforme Molotov qui avait saisi cette dernière pour dénoncer une « entente » entre TF1 et M6.
Rédigé sous la direction de Claudie Boiteau, en partenariat avec le Master Droit et régulation des marchés de l’Université Paris-Dauphine

À l’heure où le paysage audiovisuel est marqué par une prédominance des plateformes américaines – un français sur dix paie un abonnement à Netflix – la plateforme française Salto souhaite proposer une alternative aux utilisateurs.
 
Regroupant les groupes audiovisuels TF1, Métropole Télévision (« M6 ») et France Télévisions, cette plateforme aura pour activité la distribution de services de télévision, incluant notamment les chaînes de la TNT des sociétés mères et leurs services associés, ainsi que l'édition d'une offre de vidéo à la demande par abonnement.
 
Il y a plus d’un an, les actionnaires de Salto ont informé la Commission européenne de leur projet en lui demandant de renvoyer l’examen de l’opération à l’Autorité de la concurrence française. En effet, conformément à l’article 4, paragraphe 4, du règlement sur les concentrations (Règl. (CE) n° 139/2004, 20 janv. 2004), un renvoi partiel ou total de l’affaire à un État membre est possible lorsque la concentration risque d’affecter la concurrence de manière significative sur un marché à l’intérieur de cet État.
 
L’Autorité de la concurrence a donc été notifiée le 17 juin 2019.
 
À la suite d’une analyse concurrentielle de l’opération visant à contenir les risques concurrentiels avérés, après avis du CSA, elle a décidé d’autoriser le projet d’entreprise commune en le subordonnant à des engagements (Aut. conc., déc. n° 19-DCC-157, 12 août 2019, préc.).
 
Parmi les plus emblématiques, celui de ne pas mutualiser entre Salto et les sociétés mères les obligations de financement dans le cinéma français et dans la production d’œuvres audiovisuelles d'expression originale française ou celui de ne pas contracter d’exclusivité de distribution au profit de Salto pour leurs chaînes de la TNT en clair et leurs services et fonctionnalités associés.
 
Si ces engagements sont substantiels, la majorité d’entre eux sont souscrits pour une durée de cinq années. À l’issue de cette période, l’Autorité pourra proroger la durée de tout ou partie de ces engagements, sans dépasser cinq ans, si l’analyse concurrentielle actualisée le rend nécessaire.
Aussi, ces engagements ne rassurent que très peu les opérateurs concurrents du projet, en première ligne, Free et Molotov, opposants les plus virulents au projet Salto.
 
Au cours de l’été 2019, Free déclarait déjà « [le projet Salto] conduit à la réunion de chaînes représentant 70 % de l’audience, ou plus même, ce dont aucun distributeur ne peut se passer. Nous devons également avoir accès aux replay ». Cette analyse est corroborée par Orange qui a indiqué que les chaînes de TF1, France Télévisions et M6 sont indispensables pour ses clients. Selon la société Molotov, « il est en effet aujourd’hui impossible pour un distributeur de chaînes en clair de se passer des chaînes de ces groupes (qui représentent 15 des 27 chaînes de la TNT), qui revêtent un caractère incontournable pour les téléspectateurs, tant au vu de leurs audiences que de l’importance de leurs offres de télévision de rattrapage ».
 
Dans une lettre adressée à l’Autorité de la concurrence en juillet 2019, Free avait déjà alerté cette dernière des risques que représentaient la plateforme Salto pour les fournisseurs d’accès à Internet (« FAI »). Les inquiétudes demeurant, l’opérateur dirigé par Xavier Niel a déposé ce mercredi un recours devant le Conseil d’État pour tenter de bloquer l’avancée du service de vidéo à la demande. Il craint la création d’un « cartel vis-à-vis des distributeurs ». Payer pour continuer la diffusion de ces chaînes mettrait Free dans une situation similaire à celle qu’elle a connu récemment avec le groupe Altice ; il y a, selon elle, d'importants risques pour les distributeurs que sont les FAI. Concrètement, Free craint que Salto soit privilégiée et que les tarifs de diffusion des chaînes explosent à l'avenir pour les opérateurs.
 
De son côté, Molotov, plateforme vidéo qui se retrouvera bientôt en concurrence avec Salto, a décidé d’attaquer les deux chaînes de télévision privée TF1 et M6 pour abus de position dominante et entente devant l’Autorité de la concurrence. Elle accuse ces chaînes de favoritisme au moment de définir les prix réclamés aux différents FAI pour la diffusion de leurs antennes bien que le conflit porte essentiellement sur les services de replay.  
 
Dans l’attente du dénouement des derniers actes de cette saga rebondissante, Disney a annoncé le lancement de sa propre plateforme de streaming, « Disney+ »… un marché décidément en plein bouleversement.
 
Pour aller plus loin
En matière de recours contre les décisions rendues en matière de contrôle des concentrations en droit interne, voir l’édition 2020 du Lamy droit économiquen° 552 et s.

Maud Guignard et Alix Quennesson
Source : Actualités du droit