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Amende record pour Apple et ses deux grossistes, accusés de favoriser les Apple Store au détriment des autres revendeurs agréés

Affaires - Droit économique
23/03/2020
Le géant américain ainsi que ses deux grossistes, Ingram Micro et Tech Data, ont été lourdement sanctionnés par l’Autorité de la concurrence le 16 mars 2020 pour avoir mis en place des pratiques consistant à favoriser les Apple Store et certains grossistes au détriment des autres revendeurs agréés de produits Apple. L’amende s’élève à 1,2 milliard d’euros pour Apple, Ingram Micro et Tech Data.
Rédigé sous la direction de Claudie Boiteau, en partenariat avec le Master Droit et régulation des marchés de l’Université Paris-Dauphine


À l’origine de l’affaire, une saisine de l’Autorité de la concurrence par eBizcuss, un ancien distributeur de produits Apple, ayant fait faillite en 2012, face au développement des Apple Store.

Le réseau de distribution des produits Apple en France se compose de deux marchés. Un marché amont, duopolistique, constitué de deux grossistes agréés, Ingram Micro et Tech Data, qui sont des grossistes informatiques leaders sur la scène internationale. Un marché aval, où la distribution des produits Apple s’opère par l’intermédiaire d’un réseau de plus de 2 000 revendeurs. Ces revendeurs sont ensuite classifiés selon la terminologie d’Apple, en fonction de leur taille ou de la nature de leur activité. On trouve ainsi, parmi ces revendeurs, des grandes enseignes telles qu’Auchan ou Darty mais également des plus petites structures, souvent installées en centre-ville, qui sont spécialisées dans la distribution de produits Apple. On parle alors d’ « Apple Premium Reseller » (APR). Enfin, Apple distribue ses produits, depuis 2009, par le biais de ses propres magasins, les « Apple Retail Stores » (ARS), plus connus sous le nom d’Apple Store, mais également par le biais de son site en ligne, l’ « Apple Online Store » (AOS).

L’Autorité de la concurrence est venue sanctionner trois pratiques anticoncurrentielles.

Entente

La première pratique sanctionnée concerne le système d’entente mis en place, de 2005 à mars 2013, entre Apple et ses deux grossistes. La firme californienne avait ainsi procédé à une répartition très précise des quantités de produits Apple devant être livrés par les grossistes à chaque revendeur, alors même que Tech Data et Ingram Micro sont des entreprises indépendantes. En acceptant cette immixtion d’Apple dans leur politique commerciale, les deux entreprises se sont rendues coupables d’une entente, qui a eu pour effet de fausser la concurrence sur le marché de gros. Elles sont ainsi toutes les trois sanctionnées pour avoir manqué aux prescriptions des articles 101 § 1, TFUE et L. 420-1, alinéa 4 du code de commerce, qui prohibe les pratiques visant à « Répartir les marchés ou les sources d’approvisionnement ».

Prix de vente imposés

L’Autorité s’est également intéressée à la pratique de prix imposés sur le marché aval, qui a abouti à un alignement des prix de vente des produits Apple pour les consommateurs finaux. La firme avait mis en place plusieurs éléments qui lui permettaient de maîtriser le prix de vente de ses produits au grand public, afin d’éviter qu’un produit Apple soit vendu moins cher chez un revendeur APR. Ainsi, Apple diffusait les prix des produits vendus en Apple Store, présentés comme des « prix conseillés ».

En réalité, il était presque impossible pour les revendeurs agréés de s’éloigner de ces « prix conseillés » puisqu’Apple faisait peser un risque de représailles en cas de remises non autorisées. Les revendeurs qui bravaient cette prescription en proposant des remises sur les produits Apple s’exposaient ainsi à des retards voire des défauts de livraison de la part de la marque à la pomme. De plus, cette dernière avait imposé à ses revendeurs des clauses contractuelles extrêmement restrictives qui entravaient la possibilité d’organiser des opérations promotionnelles. À titre d’exemple, les revendeurs devaient, lors d’une opération promotionnelle, communiquer seulement à l’aide des supports et matériels limitativement énumérés par Apple, le non-respect de cette stipulation constituant un motif de rupture immédiate et sans préavis du contrat avec la firme. En faisant obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché, Apple contrevient à l’article L.240-1, alinéa 2 du code de commerce.

Abus de dépendance économique

Enfin, Apple s’est rendue coupable d’un abus de dépendance économique. La situation de dépendance économique des revendeurs APR à l’égard d’Apple résulte, selon l’Autorité de la concurrence, d’un « enchevêtrement complexe de multiples clauses contractuelles », « rarement observée dans la pratique décisionnelle du Conseil, puis de l’Autorité de la concurrence ».

Les revendeurs APR étaient contraints de vendre, quasi-exclusivement, des produits Apple et se voyaient dans l’impossibilité, pendant la durée du contrat et jusqu’à six mois après son terme, « d’ouvrir tout magasin spécialisé dans la vente exclusive d’une marque concurrente sur tout le territoire européen ». Cette dépendance économique était encore exacerbée par l’attachement de la clientèle à la marque Apple, la valeur du fonds de commerce étant exclusivement assurée par la vente de produits de l’univers Apple.

La firme a ainsi abusé de cette situation de dépendance dans laquelle se trouvaient ses partenaires commerciaux. L’Autorité met notamment en avant les conditions discriminatoires dans lesquelles les revendeurs APR étaient approvisionnés afin de favoriser les Apple Store ou le site internet Apple: les revendeurs souffraient de retards voire d’absence d’approvisionnement, alors que cela n’arrivait jamais dans les Apple Store. Par cette pratique, Apple se rend coupable d’une troisième entorse au droit de la concurrence et en particulier à l’article L.420-2, alinéa 2 du code de commerce, qui prohibe « l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur ».

Une stratégie visant à favoriser les Apple Store au détriment des revendeurs agréés

L’ensemble de ces pratiques s’inscrit dans une stratégie visant à favoriser les Apple Store ainsi que le site de vente en ligne d’Apple, au détriment des revendeurs agréés. Le président de l’association des APR évoque une véritable « stratégie d’éviction de la part d’Apple » à l’encontre des APR. Une telle concurrence n’existait pas avant 2009, date à laquelle la firme californienne a décidé d’ouvrir ses propres magasins physiques. Depuis, de nombreux revendeurs ont subi une baisse importante de leur chiffre d’affaire et le revendeur APR à l’origine de la saisine a fait faillite en 2012.

Cette amende vient détrôner l’amende record de 350 millions d’euros imposée à Orange en 2015 et représente plus de trois fois cette dernière. Par ailleurs, Apple avait déjà écopé, en février 2020, d’une amende transactionnelle de 25 millions d’euros, imposée par la DGCCRF pour pratiques commerciales trompeuses par omission. Le géant américain a d’ailleurs aussitôt réagi à la décision de l’Autorité de la concurrence, la qualifiant « d’extrêmement regrettable ». Ces sanctions viennent s’inscrire dans un contexte difficile pour les entreprises, Tim Cook ayant annoncé la fermeture de tous les Apple Store, au moins jusqu’au 27 mars, afin de minimiser le risque de transmission du Covid-19.

Margaux Ramos-Darmendrail
Source : Actualités du droit